Mesdames et messieurs,
Je souhaiterais, au nom de tous les élèves du collège Pierre Blanquie de Villeneuve de Marsan et du collège Jules Ferry de Gabarret, commencer par remercier l'association du Souvenir Français et en particulier M. le Général Sabathier-Dagès et M. Lamoot sans lesquels ce projet pédagogique n'aurait pu avoir lieu. Tous les troisièmes ayant participé à ce voyage ont conscience de l'implication de tous les acteurs associatifs dans le développement du devoir de mémoire. Nous tenons donc à adresser notre gratitude à tous les bénévoles, membres du Souvenir Français sans qui tous ces crimes mais aussi tous ces sacrifices seraient tombés dans l'oubli.
Le voyage scolaire a débuté par la visite d'un lieu rempli de deuil et de mémoire, à savoir le village martyr d'Oradour-Sur-Glane. Oradour-Sur-Glane, nom familier pour un élève de troisième qui prépare son brevet des collèges. Le 10 juin 1944, la division SS Das Reich a commis un crime contre l'humanité dans ce petit village du Limousin. Voilà en substance ce que retiendront les collégiens.
Mais comment s'imaginer ce qui s'est réellement produit ? Comment envisager une seule seconde l'ampleur de ce massacre ? Ces questions, la plupart des élèves les ont posées en arrivant dans le Limousin en ce matin du 1er avril. Car quelle ne fut pas notre stupéfaction quand nous fîmes nos premiers pas dans ce qui restera pour nous une expérience exceptionnelle, si ce n'est traumatisante.
L'entrée dans les ruines fut solennelle à la vue de ce simple panneau en bois sur lequel est inscrite cette phrase symbolique: "Souvenez-vous, Remember". Cette supplication faite en plusieurs langues comme pour signifier le caractère universel de ce qui s'est produit ici, résonne encore dans nos mémoires comme un appel de tous ces innocents sacrifiés au nom de la barbarie.
La traversée de ces rues désertes laissées en l'état se fit dans le silence et le recueillement. Nous faisons partie de ces générations n'ayant jamais connu la guerre et ses atrocités et habituées aux destructions des films hollywoodiens. Cependant, ces maisons calcinées aux toits effondrés, ces carcasses de voitures et de berceaux d'enfants nous apparaissaient comme surréalistes. Comment de telles choses ont-elles pu être commises par des hommes, certains à peine plus âgés que nous? Nous cherchions à comprendre en écoutant les explications de notre professeur les causes de telles horreurs, mais quelque chose nous échappait, nous ne pouvions concevoir un tel crime inutile. Une sauvagerie pareille, même dans un monde violent comme le nôtre, nous paraissait démesurée. Nous ressentions la peur des familles séparées sur la place d'appel nous envahir au récit de cette journée du 10 juin 1944.
Nous imaginions les cris des femmes, les pleurs des enfants, la dignité de tous ces hommes conscients de ce qui se tramait. Au cours d'un après-midi ensoleillé, près de 642 personnes ont été sauvagement exécutées et un village rayé de la carte. L'émotion fut à son comble lorsque nous pénétrâmes dans l'église de la commune. En effet, une des pires calamités s'y est déroulée ce jour-là. Des femmes et des le moindre état d'âme. Comment peut6on tirer à la mitraille sur des nourrissons en larmes ? Est-il possible de verser de l'essence sur des enfants se tenant la main ou enlassant leur mère, et ensuite y mettre le feu? Certains d'entre nous en eurent les larmes aux yeux et durent sortir de l'enceinte de l'église, l'émotion les submergeant.
Nous nous dirigeâmes ensuite en direction du cimetière, silencieux comme si nous participions à une procession. Certaines tombes renfermaient des familles entières ! La lâcheté des nazis et leur perversité nous furent révélées lorsque nous vîmes l'ossuaire dans lequel ceux, qui avaient dû participer à cette tache difficile qu'était le "nettoyage" du village, avaient placé les cendres et les ossements de personnes massacrées. Effacer toute trace, empêcher le deuil et masquer leur crime, voilà ce que les bourreaux, censés être membres d'une pseudo "race supérieure", avaient voulu faire lorsqu'ils versèrent des matières inflammables sur tous ces innocents. L'Homme est capable de grandes réalisations mais il est aussi apte à sombrer dans ce qu'il y a de plus ignoble, de plus immonde. Enfin, notre visite se termina par le mémorial offert par la France au village d'Oradour, mausolée dans lequel la liste interminable des victimes s'affichait gravée dans le marbre. Pour regagner le bus, nous dûmes repasser par le village, l'occasion pour nous de nous recueillir une dernière fois devant ces cours de maisons détruites où furent sans aucune raison mitraillés tous les hommes de la bourgade, ou encore devant ce puits dans lequel les soldats allemands avaient jeté des dépouilles trop décomposées pour être identifiables.
Évoquer Oradour en classe est une chose importante, mais se rendre sur place, voir de ses yeux l'inacceptable en est une autre, bien plus douloureuse, mais aussi tellement nécessaire pour des générations habituées au confort de la paix. Nous devons garder en mémoire tous ces récits, les faire connaître afin que le souvenir ne s'efface jamais. C'est une des conditions indispensables à la vigilance, car comme le dit Alain Resnais dans "Nuit et Brouillard", la bête immonde n'est pas morte, elle sommeille, un oeil toujours ouvert.
L'après-midi, nous partîmes en direction de la Grande Garenne, dans le Cher, à Neuvy-SurBarangeon. C'est là que nous devions effectuer notre deuxième visite, celle du musée Historimage.
Éric, le collectionneur érudit du musée, nous attendait à notre arrivée. Il s'est chargé de nous faire découvrir la vie et l'oeuvre d'un personnage trop méconnu dans l'Histoire de France, à savoir André Maginot. C'est un automate à son image qui nous apprit qu'il avait été ministre de la guerre après le premier conflit mondial au cours duquel il avait lui-même été blessé. Il y avait subi une blessure à la jambe qui l'handicapa, comme pour des millions d'anciens Poilus, jusqu'à la fin de sa vie. |
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Sans son intervention énergique auprès du gouvernement de l'époque, beaucoup d'anciens combattants et leur famille n'auraient pu bénéficier de la reconnaissance de l'État à travers le versement de pensions de guerre et d'invalidité. Nous avons aussi levé une idée reçue, celle qui fait de lui celui qui a bâti la ligne défensive française portant son nom, la Ligne Maginot. Sa réalisation ne fut achevée que bien des années après sa mort. Son implication et sa volonté de récolter des fonds pour la construction ont été saluées par l'attribution de son nom au projet.
La fondation qui s'occupe d'accueillir des groupes scolaires aujourd'hui dans le Cher porte également son nom. La suite de la visite du musée fut très instructive car nous apprîmes une foule de détails sur la vie quotidienne des soldats dont on avait reconstitué une tranchée. Nous fûmes sensibilisés au danger que peuvent constituer les armes retrouvées après les conflits et que beaucoup d'enfants manipulent comme des jouets, parfois au prix de leur vie. Quelle ne fut pas notre stupéfaction quand nous sûmes qu'il faudrait près de 400 ans à démilitariser la France et ses nombreux champs de bataille du XXème siècle ! Ce qu'il y avait d'intéressant dans ce musée, c'est le fait que nous pouvions toucher les objets, certains étant d'une extrême rareté comme ces restes d'un avion identique à celui dans lequel Saint-Exupéry trouva la mort. Nous avons également revécu ce moment exceptionnel que fut le Débarquement du 6 juin 1944 à travers des maquettes et un montage photo et vidéo.
Le lendemain était consacré à la visite à Paris du musée de la guerre des Invalides. Nous fûmes particulièrement impressionnés par la splendide cour d'honneur et ses imposants canons. Le musée en lui-même est d'une richesse exceptionnelle. Il compte une multitude d'uniformes d'époque ainsi que des armes très bien conservées. Nous avions un peu plus d'une heure pour le visiter, mais la journée entière aurait pu y être consacrée tant les salles et les vitrines sont nombreuses. Cette visite fut achevée par l'église du D“me dans laquelle repose la dépouille de Napoléon 1er. Cette salle monumentale où règne le marbre nous a complètement estomaqués par la richesse de l'ornementation et par les matériaux utilisés. Nous y découvrîmes les tombeaux d'autres grands chefs militaires français: Turenne, Vauban, Foch ou encore Lyautey.
Le dernier jour fut celui de la visite du Mont Valérien, à l'ouest de Paris. Cet endroit est devenu pour nous le symbole des martyrs de la résistance et des héros de la libération de Paris. Les 16 fresques décorant l'entrée du Mémorial dont une guide nous a fait une description minutieuse nous ont particulièrement impressionnés. La flamme éternelle et la croix de Lorraine qui marquent l'entrée de la crypte renforçaient le côté solennel du lieu.
Une fois la crypte franchie, nous avons parcouru le trajet que des milliers de résistants avaient d– parcourir pour atteindre leur lieu de supplice. Nous avons joint la petite chapelle où ces pauvres malheureux, dont le seul tort était de combattre pour leur pays, devaient attendre qu'on les exécute.
Les derniers poteaux d'exécution, abandonnés par les nazis dans leur fuite. y sont exposés, en grande partie détruits par la violence des balles. En face de la chapelle se trouve une immense cloche sur laquelle sont inscrits les noms des 1008 fusillés dans ce lieu, des résistants originaires de toute la France, dont des landais comme Camille Bouvet mais aussi des étrangers qui avaient fait de la France leur pays d'adoption et de coeur, tels les membres du groupe Manouchian. C'est dans cette chapelle que ces héros pouvaient écrire une dernière lettre à leur famille, certaines transmises par l'intermédiaire d'un prêtre allemand qui ne partageait pas l'idéologie des dirigeants de son pays. Deux élèves ont alors lu les lettres de deux adolescents fusillés, une fille et un garçon, qui avaient réussi à les faire passer à leur famille. C'est avec une certaine émotion que nous écoutâmes ces témoignages intimes remplis d'amour mais aussi de tant d'espoir, celui de voir un jour la France libérée de la barbarie. A aucun moment ces jeunes gens, dont la vie s'arrêtait dans la fleur de l'âge, n'exprimaient dans leur lettre un semblant de regrets. Ils montraient même une certaine fierté à mourir pour leur pays, celui de la France combattante et non cet immonde régime de Vichy dont les sbires les avaient bien souvent conduits au poteau. Leur dignité doit être un modèle pour les générations actuelles qui ont trop souvent oublié le sens des mots "devoir" ou "sacrifice". Nous avons terminé cette émouvante visite par une minute de silence et de recueillement devant la flamme permanente. Quelle ne fut pas notre stupeur d'apprendre qu'elle était parfois l'objet d'actes d'incivilité. Comment pouvait-on commettre une chose aussi stupide?
C'est donc la tête remplie de souvenirs indélébiles que nous rentrâmes dans les Landes, conscients plus que jamais de la chance que nous avions de vivre à notre époque, sans l'horrible épreuve de la guerre. Cette chance, nous la devons à tous ceux qui ont donné leur vie pour la liberté et dont la mémoire devra être à jamais honorée. Une fois arrivés, nous fîmes le récit de ce que nous avions vu à nos parents, à nos proches et à nos camarades du collège. Et c'est bien là que repose tout l'intérêt d'un tel projet, entretenir le souvenir du passé afin qu'il ne tombe pas dans l'oubli. Rendre l'Histoire vivante à travers la vie de ces personnages dont la plupart ne figurent pas dans les manuels, tous ces anonymes et ces oubliés, voilà pourquoi nous avons accepté de participer à ce voyage. Et c'est pour cela que nous tenons tant à exprimer notre profonde gratitude au Souvenir Français dont nous savons qu'il partage cette même ambition. Puisse son action perdurer et permettre à d'autres classes, générations après générations, de participer à ce combat pour la survie de la mémoire collective.
Les élèves des classes de 3ème
des Lycées de Villeneuve et Gabarret
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